Quelques notions sur le service public

Contexte institutionnel • Les institutions européennes


À l’origine

Trois traits importants sont à souligner : les notions de droit, la mutation du service public lui-même et l’imprégnation de l’économie dans les sphères administratives.

Deux écoles de droit
Lesquelles coexistent principalement aujourd’hui dans le monde : 

  • d’une part, la Common Law, dont le mode de pensée est fondé sur la prise en compte du précédent judiciaire dans la solution de justice ;
  • d’autre part le droit romano-germanique (aussi appelé droit continental), caractérisé par un ordonnancement des règles de droit dans un code dont est censée être tirée la solution de justice.

Il faut ajouter à ces deux systèmes le système de droit islamique, qui ne fait l’objet de cette page.

Le droit continental est un droit académique, professoral, fondé sur la logique, la structure et la théorie. La Common Law, au contraire, est un droit forgé par les juges et les praticiens du droit. Le juge est lui-même législateur, mais également arbitre, notamment entre le Gouvernement et le citoyen. Instinctivement, le droit continental a recours à la loi, alors que la Common Law en appelle au juge. 

➤ Mais aussi l’évolution du service public
À partir de la seconde moitié du XXème siècle, le service public a connu un phénomène de croissance important qui a élargi les possibilités de la puissance publique de créer des services publics dans des secteurs traditionnellement réservés à l’initiative privée, comme l’industrie ou la finance. On a assisté alors à une incursion progressive du service public dans le champ des activités économiques mais aussi à une acceptation de plus en plus marquée par l’administration des logiques propres du monde des affaires, avec notamment les notions d’efficacité et d’efficience, inconnues jusqu’alors.

Il faut cependant bien distinguer le service public à caractère obligatoire :

  • la défense nationale ;
  • la sécurité intérieure ;
  • la justice ;
  • l’enseignement public ;
  • et d’autres secteurs selon la culture nationale,

des services publics à caractère facultatif, dont la liste dépend grandement aussi de la culture nationale et de l’histoire de chacun. Le service public à caractère obligatoire ne comporte en effet pratiquement aucune dimension économique ou managériale, si ce n’est sous l’angle de la disponibilité des finances publiques, mais il s’agit là de choix politiques. Les services publics facultatifs ont au contraire été imprégnés de manière plus marquée par l’économie d’entreprise.

➤ Quand l’économie fait son entrée dans l’administration
Un troisième trait, lié au second, est l’observation d’une structuration progressive d’une mouvance de l’économie d’entreprise (dite néo-libérale) en Europe, laquelle prit racines dans les années 30 puis fut revigorée après la Seconde guerre mondiale. La partition de l’Europe en deux blocs idéologiques distincts encouragea probablement cette mouvance de l’économie d’entreprise.

La lente financiarisation de l’administration est un fait. Les États vont être obligé d’établir petit à petit un bilan et un compte de résultat à la manière des entreprises. Cela deviendra la règle plus tard dans la plupart des 190 pays membres de l’ONU afin d’avoir des éléments de comparaisons. Or, rien de tel que des chiffres pour comparer.

Common Law, Droit Continental, périmètre du rôle de l’État et financiarisation progressive de l’administration sont à la base de la définition des services publics actuels. On ne peut cependant pas sous-estimer les particularités nationales, dont nous reprenons succinctement les éléments ci-dessous.

Le service public en France

Dans l’imaginaire collectif français, la notion de service public apparaît en général indissociable de celles de propriété publique et de monopole. La France a adopté la conception d’un Etat paternaliste-hégémonique qui s’oppose à la conception anglaise qui est plutôt celle d’un Etat simple prestataire de services (parmi d’autres prestataires) (Emmanuel Brillet, 2004). Pour des juristes français éminents comme Maurice Hauriou (1856-1929) et Léon Duguit (1859-1928), la place de l’État restait «centrale » et l’économie était quasiment absente.  

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la référence normative en matière de services publics industriels et commerciaux est l’intervention publique, qui plus est sous forme monopolistique et sous la conduite d’agents soumis à des statuts spécifiques. Les missions de service public sont en France « un facteur d’identité qui contribue au sentiment d’appartenance à une communauté traitant équitablement ses membres », (Elie Cohen et Claude Henry, 1997). Autrement dit, les missions de service public sont «un facteur de cohésion sociale, à la fois directement par la nature des services rendus, et indirectement comme signe social » (Emmanuel Brillet, 2004). 

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Le service public en Suisse

Au sein de la Confédération helvétique, partagée entre influence latine et influence germanique, les pratiques discursives balancent entre les expressions «service public» et «service au public ». Il y a là bien plus qu’une simple nuance sémantique : cette dualité témoigne du clivage entre ceux qui, d’une part, considèrent que l’intervention publique est nécessaire à la satisfaction d’objectifs additionnel à la simple fourniture de services (promotion de l’équité social et de la cohésion nationale, ou encore protection de l’environnement, par exemple) et ceux qui, d’autre part, s’en tiennent à une approche plus pragmatique, centrée sur la maîtrise des coûts et la qualité de fourniture des services aux consommateurs finals.

Symptomatiquement, c’est dans la partie francophone (mais aussi italophone) de la Suisse que l’on rencontre majoritairement les partisans de la première approche.

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Le service public vu de l’Europe

Durant la plus grande partie des dernières décennies, la réglementation des services publics relevait de la seule responsabilité des États membres. C’était le cas pour les opérateurs ferroviaires publics. Or dans toute l’Europe, les déficits s’accumulaient sans que l’on voit une amélioration sensible du secteur ferroviaire. Il n’est pas faux de dire aussi que le rail n’a pas bénéficier dans les années 1950 à 1970 des investissements qu’il lui aurait fallu. Cette seconde époque du chemin correspond en fait à un désinvestissement des États, encouragé par l’idée que l’auto et les bus (pour la proximité) et l’avion, pouvaient suffire à la mobilités des peuples.

Dans la même veine, l’idée même de renflouer des déficits ferroviaires sans contrepartie perdit de plus en plus de son crédit. Or les bases de la Common law, à travers son processus d’interprétation et d’évolution jurisprudentielle, permettait une autre approche, au travers de normes de service et de qualité auxquelles les fournisseurs de services publics furent de plus en plus tenus de se conformer. L’idée d’un service public s’écartant de l’administration et se rapprochant davantage de l’entreprise, avec des comptes à rendre, fît alors son chemin et reçu un bon accueil dans la plupart des gouvernements, de droite comme de gauche. 

À l’échelle internationale, des économistes ont joué un rôle clef, expliquant en partie la prééminence accordée au volet économique de la construction européenne. La plupart des auteurs justifient aussi la progression de la Common Law, portée par la puissance des banques, des places financières et des cabinets d’avocats anglo-saxons. Les acteurs économiques privilégient d’eux-mêmes ce système en raison de sa souplesse et de la possibilité, particulièrement dans le domaine des contrats, d’adapter la règle de droit à des situations très spéciales.

Cela expliquerait en partie pourquoi la norme économique fut d’emblée mise au centre de la conception communautaire dans les années 1950. On garde en mémoire l’échec de la Communauté européenne de défense en 1954, un sujet trop sensible, trop politique, et trop régalien. Se tourner vers l’économique pour fonder une union en Europe sembla alors « plus simple » pour trouver un consensus. Voilà pour le processus historique. Mais qu’en est-il des textes et des Traités ?

 

SIG, SIEG…

Ce n’est qu’à l’article 73 du Traité de Rome qu’on peut lire le terme de service public, appliqué aux transports : « sont compatibles avec le Traité les aides (…) qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public. » 

Le droit européen n’utilise pas (sauf de manière très incidente) la terminologie juridique d’obédience française du service public mais construit de facto une liaison entre le caractère « d’intérêt général» et le caractère économique des services qu’il entendait prendre en considération. Au surplus, l’ensemble de ces activités est rattaché au concept d’entreprise qui, lui aussi, se situe d’entrée de jeu dans un contexte économique.

C’est le Traité d’Amsterdam du 1er mai 1999 qui introduit le concept de service d’intérêt économique général (SIEG) comme un élément dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l’Union. Le mot économique est clairement posé.

Le concept, assez large, de « services d’intérêt général » (SIG) n’est employé par les institutions européennes que depuis 2003. Il couvre les « services marchands et non marchands que les autorités publiques considèrent comme étant d’intérêt général et soumettent à des obligations spécifiques de service public ». Ces services d’intérêt général regroupent en pratique des domaines tels que l’énergie, les transports, les services postaux, les télécommunications, l’eau, aussi bien que des services sociaux comme la santé et l’éducation.

La principale différence entre les deux réside dans le fait que le SIG est un terme plus large qui englobe les services publics essentiels, tandis que le SIEG se concentre spécifiquement sur les services publics ayant à la fois une dimension économique et un objectif d’intérêt général, en particulier dans le cadre des politiques de concurrence de l’UE.

La directive services (directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006), adoptée par le Conseil et le Parlement, concerne les services dans leur ensemble. Les SIG (non économiques) et les SIEG qui font l’objet d’une réglementation spécifique (transports, énergie, poste et télécoms) sont exclus du champ de la directive, ainsi que les « services sociaux tel le logement social ». Les autres SIEG, santé, eau, déchets, etc. entrent bien dans le champ d’application de la directive, sauf pour la libre prestation (les prestations transfrontalières de courte durée). 🟧

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