En 1957, six (puis sept) réseaux ferroviaires dans une Europe apaisée mettaient en service un concept de train de luxe appelé « Trans Europ Express ». C’était la même année que la signature du Traité de Rome, dans un optimisme généralisé qui voulait faire oublier les trois décennies et deux guerres mondiales qui mirent l’Europe à terre.
L’initiative venait du directeur des chemins de fer néerlandais, persuadé qu’il fallait ramener les hommes d’affaires vers le train en leurs proposant un confort hors du commun. On l’oublie trop souvent, mais traverser l’Europe en 1957, même en l’absence de guerre, c’était encore faire un « voyage » (alors qu’aujourd’hui, on se « déplace »). Les lignes ferroviaires étaient encore non électrifiées et les réseaux ferroviaires, centrés sur la reconstruction, n’avaient pas encore pu mettre en route de nouveaux services novateurs à l’international.
À l’origine, le néerlandais Den Hollander avait prévu dès 1954 un matériel roulant unifié géré par une société commune, séparée des entreprises d’état. Manifestement, cette idée plus que disruptive avait cinquante ans d’avance sur son temps et fut logiquement rejetée par les ministres des Transports de chaque pays, qui y voyaient une menace pour l’industrie et l’intégrité nationale. Le rail et la politique…
Le lancement de ce réseau eut donc bien lieu, mais chacun avec ses propres trains. Il ne s’agissait pas de « trains citoyens traversant une Europe sans guerre », mais de trains ne comportant que la première classe dont le tarif était agrémenté d’un supplément. Pourquoi ce supplément ? Parce qu’à l’époque, la tarification nationale offrait certaines réductions même en première classe. Ainsi, vous pouviez avoir une réduction « ancien combattant » en France et en Belgique, mais pas en Allemagne. Le supplément, lui, était identique pour tout le monde et reflétait le confort.
On peut cependant affirmer sans se tromper que les Trans Europ Express ont pu démontrer à quel point un voyage en train pouvait devenir une véritable expérience en terme de confort. Songeons au service de secrétariat ou à la voiture-dôme de la Deutsche Bahn sur son célèbre Rheingold, ou encore à la boutique et au salon de coiffure sur le Mistral Paris-Nice. Du grand art qu’on ne peut plus trouver de nos jours…
Combattre l’avion ?
Les TEE, comme on les appela, ont constitué un réseau important dont l’apogée eut lieu en 1974, avant un irréversible déclin. Car entretemps, l’aviation attirait malgré tout davantage de clients d’affaire et proposait un service reliant toutes les villes d’Europe. Rappelons que la compagnie française Air Inter avait pour actionnaire, notamment, la SNCF !
L’autre conséquence du déclin des TEE était le développement important du voyage de masse. Popularisé partout en Europe dès les années 60, cette clientèle diversifiée ne souhaitait pas payer la première classe et un atroce supplément pour partir en vacances ou faire 300 kilomètres plusieurs fois par an. Cette clientèle voulait un confort se rapprochant de la première classe sans en payer le prix.
Intercity
Les Britanniques d’abord (en 1966), les Allemands ensuite (en 1971), montrèrent la voie à suivre pour mieux remplir les trains. Des express à deux classes avec voitures climatisées et voiture-restaurant, cadencés toutes les deux heures puis par la suite toutes les heures (1979 en Allemagne). L’arrivée de ces trains dont les vitesses étaient quasi identiques à celles des TEE incitèrent la clientèle d’affaire à préférer les Intercity qui offraient davantage de possibilités horaires. La conséquence fut que les Trans Europ Express connurent une véritable hémorragie avec, sur dix ans de 1975 à 1985, une perte d’un tiers de sa clientèle !
En 1980, près de 36 trains internationaux étaient composés de matériel roulant proche des critères de confort des Intercity, reléguant les TEE dans la gamme des trains d’exception. En 1986, ces trains internationaux étaient au nombre de 108 (54 allers-retours).
Après six années d’existence ce type de relations avait donc trouvé sa clientèle sans même avoir fait l’objet d’une publicité spécifique. En mai 1987, le groupement Trans Europ Express était officiellement dissout, et les relations subsistantes intégraient un nouveau concept de l’UIC : les « Eurocity / Euronight ».
Aujourd’hui
Il n’y a plus de clientèle de luxe, en dehors des trains spéciaux charter comme le Venise Simplon Orient Express ou l’Al Andaluz en Espagne. C’est même l’inverse qui se produit puisque depuis une dizaine d’année, il a encore fallu descendre d’un cran avec des tarifs très bas et un service minimum comme on en trouve chez Ouigo (SNCF) ou certains nouveaux entrants. Ces services monoclasse sont l’exact contraire du Trans Europ Express des années 60, quand voyager en Europe était encore le privilège d’une élite et du monde des affaires.
Depuis les années 2000, c’est encore une fois le secteur aérien qui a permis – mais à quel prix social -, aux fauchés d’Europe entière de passer quelques jours à 600 kilomètres de chez soi à petit prix. Les fortes améliorations du confort des autocars – secteur libéralisé -, promotionnant eux aussi des petits prix, avaient fini par reléguer le train longue distance dans une inquiétante marginalité.
Les Intercity, qui devaient ramener les client de l’avion et des bus au rail, ont eu du mal à percer dans certains pays. Sur une partie de l’Europe, c’est la grande vitesse qui prédomina dans la politique ferroviaire, comme en France, en Espagne et en Italie dès les années 80-90. Les trains tractés furent de moins en moins nombreux à circuler, tant en service national (trains « Corail » en France) qu’à l’international.
L’Allemagne aussi intégra le club de la grande vitesse, mais elle eut le bon goût de mélanger ce nouveau type de train avec le service Intercity existant, formant un ensemble unifié mais fortement remanié. D’ailleurs en Allemagne, la grande vitesse porte bien le nom de « Intercity », auquel on a rajouté le mot « Express » pour créer le concept d’ICE, Intercity Express, toujours en vigueur de nos jours. Hélas, les Intercity « classiques » actuels montrent une certaine vieillesse avec des voitures accusant parfois 40 ans d’âge.
La grande vitesse est encore perçue comme ayant pu « sauver les meubles », mais le constat peut rapidement être fait que ni les autoroutes ni les aéroports n’ont été vidé de leur clientèle…
Ailleurs, les pays alpins ainsi que l’ensemble des pays de l’Est, dépourvus de la grande vitesse, ont conservé le principe de la rame tractée. Les Autrichiens sont probablement ceux qui restent le plus attachés à ce type d’exploitation, avec leur concept très réussit de Railjet. Les Suisses, par exemple, ont préféré des rames automotrices, comme l’ETR 610 ou le nouveau Giruno de Stadler, pour leurs « Eurocity » vers l’Italie. D’autres pays ont aussi préféré les rames automotrices
Depuis 2012, de nouveaux entrants sont apparus sur ce segment Intercity/Eurocity, mais pas toujours en y apportant les critères de confort que l’UIC avait imaginé au début des années 80. Transdev Suède, RegioJet ou Flixtrain utilisent des voitures allemandes ou autrichiennes de la grande époque Intercity. À contrario, MTRX (Suède), Leo Express ou encore Westbahn ont acheté des automotrices Stadler qu’on attendait moins sur les longues distances.
Les rames bloc en traction diesel
En 1957, les réseaux européens étaient encore peu électrifiés, singulièrement sur les tronçons transfrontaliers. En outre, le choix historique de différentes électrifications dans chaque pays rendait difficile le matériel roulant interopérable, les technologies de l’époque ne permettant pas encore de passer d’un courant à l’autre.
L’idée d’origine de n’avoir qu’un seul matériel roulant unifié reçu une fin de non recevoir des pays membres du groupement TEE, chacun faisant valoir son industrie nationale.
Ces deux éléments entraînèrent l’apparition, dès 1957, de quatre types de rames diesel que reprend la liste ci-dessous. Les dates n’indiquent que leur utilisation Trans Europ Express, sachant que le matériel roulant eut souvent une seconde vie (on en parle plus bas).
Rame autonome SNCF
1957 – 1965
Rame autonome FS
1957 – 1972
Rame autonome NS-CFF
1957 – 1974
Rame autonome DB
1957 – 1972
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Les rames de voitures tractées
Les développements rapides de l’électrification ainsi que le succès des Trans Europ Express militèrent pour opter des rames plus longues plutôt que des élements automoteurs fixes. Seuls les CFF se lancèrent dans l’étude d’une rame électrique automotrice, ce qui était une petite révolution en cette époque où le changement de locomotive était systématique aux frontières.
CFF
1961 – 1987
Les autres “administrations” préférèrent la souplesse des compositions variables et lancèrent la construction d’un grand nombre de voitures spécifiquement conçues pour les services Trans Europ Express. C’est ce que reprend la liste ci-dessous.
La traction de ces rames était un peu plus diversifiée, car les locomotives, bien que certaines conçues à l’origine pour les TEE, avaient des missions sur d’autres trains. Ces locomotives, dont certaines interopérables, sont reprises à une autre page. Le concept évolua et on remarquera que l’acceptation de train nationaux aux normes TEE, pas prévu à l’origine, engendra l’apparition de livrées sans rapport avec le rouge-crème.
SNCF
1965 – 1969 (Paris-Nice)
1978 – 1984 (Paris-Lille)
SNCF / SNCB
1964 – 1987
DB
1965 – 1985
Renfe
1969 – 1982
SNCF / SNCB
1964 – 1987
FS
1969 – 1984
Le groupement TEE avait une commission qui autorisait – ou non -, l’admission de certains trains dans le “catalogue”. À l’origine du concept, seuls les trains internationaux devaient être admis. Mais une demande de la DB de faire entrer quelques trains nationaux (TEE …) poussa la SNCF et les FS à faire de même, en “labelisant” quelques trains de leur service intérieur respectif.
La conséquence la plus visible fut l’abandon de l’uniformité rouge-crème et l’adoption de livrées au choix de chacun. C’est ce qui est représenté ci-dessous, une courte liste qui marque un point final dans la livraison des prestigieuses voitures Trans Europ Express.
FS
1969 – 1984
SNCF
1970 – 1984
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Et ensuite ?
La dissolution du groupement TEE en mai 1987 n’avait heureusement pas signifié la mise à la ferraille de tout ce beau matériel roulant. Les voitures inox “Mistral 1969” (et certaines de 1964), ont poursuivi une petite carrière en tant que voiture de seconde classe pour certaines. On a pu les voir entre Bruxelles et Paris jusqu’au 1er juin 1996, dernier jour avant le Thalys.
En Allemagne, les Ap 4üm, Av 4üm, WR 4üm et autres ont toutes trouvé leur place dans les nombreux intercity cadencés longue distance à deux classes. À l’arrivée des ICE dès les années 90-2000, nombre de ces voitures furent vendues à des associations et des particuliers. Les plus malins en ont fait un petit business pour les relouer à quelques rares nouveaux entrants.
Une association suisse, TEE Classics, a magnifiquement pu reconstituer une rame d’époque.
En Italie, les Gran Confort ont aussi retrouvé une autre place dans de nombreux trains longue distance, certaines circulent encore de nos jours, probablement plus pour longtemps. La superbe Fondazione FS dispose d’un parc historique impressionnant, dont des voitures Gran Confort.
En Espagne, le Talgo III a cessé de circuler, même à deux classes. Une rame a fort heureusement été préservée et magnifiquement restaurée pour l’histoire du rail espagnol.
Plus malheureuse est la destinée des “Grand Confort” SNCF, qui firent la gloire des Paris-Bordeaux et Paris-Toulouse. Après une tentative de classe supérieure “Euraffaires”, ces belles voitures ont disparu de l’exploitation, parfois comme train expo.
Une association hollandaise, Stichting TEE Nederland, tente à présent de reconstituer et reconstruire une RAm, dont les exemplaires étaient parti au Canada !
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